Sylvitopia
La forêt des Landes est la plus grande forêt artificielle d’Europe, composée à 90% de pins maritimes et s’étend sur plus d’1 million d’hectares. Dès sa plantation au XIXème siècle, elle a été destinée à la production et n’a jamais dévié de cette mission initiale. Cet objectif conditionne toutes les activités humaines autour de cette ressource. Les pins maritimes sont dès leurs semences sélectionnés en fonction de qualités mécaniques et esthétiques définies par l’industrie. Le processus de renouvellement et de récolte des arbres est rodée : les pins maritimes sont plantés après une coupe-rase, les parcelles sont régulièrement débroussaillées, tous les 6 ans une éclaircie est pratiquée puis la récolte finale intervient au bout de 30 ans. Une mécanique bien huilée qui a incontestablement amélioré le quotidien de générations d’habitants, même si elle a effacé durablement des modes de vie agropastoraux. Cette volonté d’émancipation sociale a traversé les âges, inscrite même dans le marbre comme cette phrase sur la stèle en hommage à Jules Chambrelent, un des pères de la forêt landaise : “il assainit et embellit la Lande, et porta l'aisance dans un pays déshérité”. Une forêt créée de toute pièce pour une utopie sylvicole.
Le massif landais a bien connu quelques infortunes. Le grand incendie de 1949 a rendu la région pionnière dans la prévention et la lutte contre les feux et lui a permis de réduire significativement la taille moyenne des surfaces brûlées depuis 1985. Les gels des années 1980 causant la mort de pins maritimes d’origine portugaise inadaptés au climat local ont servi d’expériences dans la sélection génétique. Plus récemment, ce sont les violentes tempêtes de 2009 et de 2019 qui ont fortement impacté le massif. C’était même la crainte première des sylviculteurs de la région jusqu’à cet été 2022 et ses incendies géants qui ont choqué l’opinion publique. Les prévisions scientifiques sont formelles, ces étés caniculaires vont devenir la nouvelle normalité. Continuer comme avant n’est plus possible, l’adaptation de la forêt landaise devient une urgence. L’utopie sylvicole landaise est ébranlée.
Mais les débats s’annoncent complexes. Les affirmations ne sont pas toujours étayées scientifiquement et les retours d’expérience insuffisamment documentés. Ce qui est certain, c’est que le pin maritime, cette essence indigène adaptée au sol sablonneux et acide du territoire, doit rester la base de la sylviculture locale. Pour le reste, les opinions divergent. Faut-il introduire des feuillus dans les parcelles de pins ? En pratique, cela n’est pas toujours possible du fait de la qualité du sol. Faut-il s’orienter vers un peuplement d’âges différents ? Ce serait mieux pour résister aux tempêtes mais moins favorable contre les incendies. Le sol doit-il être labouré ? Là encore, la réponse ne fait pas consensus. Pour trancher, des recherches doivent être menées, mais sur de longues périodes. Et le temps des catastrophes naturelles ne le permet plus. D’une forêt socialement émancipatrice, la sylviculture landaise doit désormais s’inscrire dans les problématiques du XXIème siècle.